Toxiinfection alimentaire à l'acide bongkrekique à Taïwan : 35 malades dont quatre décès

A Taïwan, 35 personnes sont tombées malades après avoir mangé au à la succursale Xinyi de la chaîne de restaurants malaisienne Polam Kopitiam à Taipei entre le 18 et le 24 mars.

A la date du 27 avril 2024, trois malades sont décédés (le premier décès date du 24 mars et le dernier du 25 avril). Trois autres patients sont toujours hospitalisés en service de soins intensifs, dont un a bénéficié d’une greffe de foie.

À la suite de la déclaration du premier cas suspect d'empoisonnement, le département de la santé de Taipei a procédé à une inspection immédiate du restaurant, qui a révélé plusieurs problèmes d'hygiène, notamment des signes d'infestation de cafards et un mauvais stockage des ustensiles de cuisine. Le restaurant a reçu un délai jusqu'au 27 mars pour remédier aux problèmes identifiés.

Le 2 avr. 2024, les autorités taïwanaises ont rapporté qu'un empoisonnement à l'acide bongkrekique était mis en cause dans cette toxiinfection alimentaire, cette toxine ayant détectée dans l'un des échantillons environnementaux prélevés dans la cuisine du restaurant. De l'acide bongkrekique, aurait été trouvé sur des échantillons prélevés sur une planche à découper, deux couteaux et l'une des mains du chef du restaurant en cause.

Jusqu’à ce jour, aucun cas d'empoisonnement à l'acide bongkrekique n'a été enregistré à Taïwan.

Commentaires :
L'acide bongkrekique (BKA) est une toxine peu connue, source d'intoxication alimentaire, produite par la bactérie Burkholderia gladioli pv. cocovenenans. Cette bactérie est largement répandue dans le monde, car elle a été largement isolée et identifiée dans divers échantillons alimentaires et environnementaux, tels que l'eau et le sol, sur les cinq continents les plus peuplés. De nombreux ingrédients alimentaires cultivés, tels que Tremella fuciformis (champignon blanc), peuvent être contaminés par B. gladioli pv. cocovenenans.

Depuis 1975, plus de 3 000 cas d'intoxication par BKA ont été officiellement documentés. Depuis le premier signalement d'un foyer de BKA en 1895, la contamination par B. gladioli pv. cocovenenans et l'empoisonnement par BKA ont été associés à un large éventail de produits alimentaires. Ces produits alimentaires comprennent les nouilles de riz, les boissons fermentées, la noix de coco fermentée (tempe bongkrèk), les champignons d'oreille de bois réhydratés (Tremella spp. et Auricularia heimuer), la farine de maïs fermentée, les céréales fermentées (riz glutineux, riz japonica et maïs) et la farine de patate douce. Le tempe bongkrek, un gâteau de presse fermenté traditionnel produit en Indonésie, a été à l'origine de milliers de cas d'intoxication à BKA, dont beaucoup ont été mortels. Le tempe bongkrek est désormais interdit dans la majeure partie de l'Indonésie, bien que la production illégale se poursuive. La plupart des cas d'intoxication à BKA sont survenus en Chine, en Indonésie et au Mozambique. 

L'acide bongkrekique est insipide, inodore, incolore et thermiquement stable, ce qui le rend difficile à détecter dans les aliments contaminés.  Les conditions souhaitées pour la production de BKA ont été identifiées comme étant un pH proche de la neutralité (6,5-8,0), une température douce (22-30 °C), une faible concentration de NaCl (inférieure à 2 %) et une composition appropriée en acides gras (riche en acide oléique), et ces exigences peuvent être satisfaites par certaines matrices alimentaires fermentées et réhydratées.

Les effets toxiques de BKA sont liés à ses effets sur les mitochondries. BKA interfère avec la production d'énergie cellulaire, ce qui entraîne des dommages cellulaires et la mort (inhibition de l’activité du transporteur mitochondrial d'ADP/ATP). Des études sur l'administration orale ont indiqué des valeurs de DL50 de 1-3,16 mg/kg pour l'homme.

Les premiers symptômes d'un empoisonnement à BKA peuvent être la fatigue, des vertiges, des maux d'estomac, des vomissements, des diarrhées et des sueurs. Les cas graves peuvent entraîner une insuffisance hépatique, des lésions rénales et le coma. Les taux de mortalité varient de 40 à 100 %. La mort due à la défaillance de plusieurs organes peut survenir dans la journée qui suit les premiers signes et symptômes.

Il n'existe pas d'antidote pour l'empoisonnement à BKA Le traitement consiste en des soins de support assurés dans de nombreux cas, en un séjour dans une unité de soins intensifs. La meilleure façon de prévenir cette intoxication est d'éviter de consommer des produits alimentaires fermentés. Dans les pays à risque, les mesures de réduction des risques suivantes sont proposées, BKA ne pouvant être détruit par le lavage ou la cuisson :

  • Évitez de faire fermenter des produits à base de maïs ou de lait/pulpe de noix de coco à la maison, car des installations et/ou des processus spécifiques soumis à des pratiques d'hygiène strictes sont nécessaires pour réduire le risque de contamination par l'acide bongkrekique.
  • Si vous souhaitez faire fermenter des produits à base de maïs ou de noix de coco, veillez à ce que le mélange soit acide en ajoutant des acides tels que du jus de citron, du vinaigre ou de l'acide lactique. Cela favorisera le développement des micro-organismes appropriés et réduira les risques de formation de toxines.
  • Évitez de consommer du Tempeh Bongkrek et d'autres aliments associés à l'acide bongkrekique si vous n'êtes pas sûr de leur source ou de leur sécurité.
  • S'il est nécessaire de faire tremper des champignons des neiges ou des champignons noirs pendant une nuit, faites-le dans le réfrigérateur afin de limiter la prolifération des bactéries.
  • Appliquer de bonnes mesures d'hygiène lors de la fermentation des aliments, telles que la stérilisation de toutes les surfaces en contact avec les aliments, afin d'éviter toute contamination indésirable des aliments par des bactéries.

Références : Han D et al. Foods 2023, 12(21), 3926 ; National Capital Poison Center. Bongkrekic Acid Poisoning From Fermented Food

Source : Focus Taïwan

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